vendredi 14 juin 2013

Y revenir


À nouveau, y revenir. Guérite du vigile franchie, motif venue annoncé, trouver emplacement non-réservé aux ambulances.

Là-haut, fenêtre de la chambre, inamovible cadre mémoriel et mortifère. Corps, en instance d'implosion, se tend comme il peut pour adresser un difficile et douloureux signe de main. Et cette main tremble de plus en plus. Ne saisit plus les choses, les palpe, incertaine : livrée à elle-même, autonome du reste, de plus en plus souvent.

À gauche, les fumeurs matinaux, et leurs perfusions qu'ils trimbalent, raides danseuses, les maudissant à cause des butées. Avec un peu d'imagination et de fréquentation du lieu, les parasols posés là, les plateaux repas, on peut se dire qu'on est chez le meilleur glacier de cette sorte de remblais. Manque juste l'océan. Certains portent les marées en eux quand ils ouvrent les vannes des perfusions et que coulent les produits. Les mines décharnées blanchissent un peu plus

« Attention à la fermeture des portes ». « Attention à la fermeture des portes ». « Attention à la fermeture des portes ». Ne pas entendre ça une fois de plus, préférer escalier. Laisser derrière soi ce qui, par l'imbécile présence d'un piano à queue, finalement ressemble à la salle de réception d'un sévère bateau de croisière. Qui s'enfle des sanglots d'une femme et d'un enfant. Regards anxieux et gênés dans la file d'attente. L'un des siens, peut-être, bientôt. Pour l'instant, ils tiennent encore verticaux. Ils sont attentifs au souffle des voisins, à sa démarche, à l'épaisseur du dossier. Eux moins que lui.

C'est juste en face d'ici que la toux a commencé à te faire horizontal. Sur la coursive, là. Tout le monde dans le hall faisait comme si rien. Rouge par la toux, et puis par la honte, comme ça, devant les familles du dimanche à la cafétéria. C'est comme si le brasage des métaux, tu le faisais à l'intérieur de toi pour la première fois, et que tu étais surpris. Les yeux si clairs voilés par les larmes de la douleur qui brûle à feu vif. La surprise a dû devenir certitude tout au fond. Tu n'as jamais rien dit, sauf le dernier jour. Et puis, tu as été pris au matin encore petit, tout à fait seul.

Ce dernier jour vécu qui se répétera en pensée les nombreuses fois qu'il a fallu y revenir. Mettre les pas dans les tiens. Horizontal aussi, mais plus gentiment et provisoirement, surtout. Passer devant ton couloir. Quelques fois pousser la porte et constater de l'intérieur le cadre vide. Le tableau sans sujet.

Pour le retrouver, traverser les alignements, suivre les emplacements. Grandes, petites, communes, distinctives, claires, sombres, ornées, nues, sur-peuplées, fraîchement creusées. Un cimetière, c'est un espace bien plus démocratique qu'une école municipale, par exemple. Pas de dérogation possible. Des gens de toutes extractions s'y croisent, mixité absolue. Échanges pudiques de regards sous la hauteur magnanime des cyprès. Diffèrent seulement discrètement la qualité des plaques et des écritures, la nature des penchants des disparus. Tous à l'horizontal. Pour longtemps. Et toi parmi eux.

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