vendredi 7 février 2014

Sonia - tête et viscères


[...] il est réapparu parmi les galériens devant le centre commercial. Ceux-là qui se prennent pour des affranchis et qui étalent leur misère, qu'ils essayent de déguiser en mépris, pour les yeux des passants. Ils rament sans-cesse au fil des jours ces pirates-là, comme ma mère elle dit, mais leur embarcation elle est pas sur les mers du globe, non. Elle est bien amarrée en plein-milieu du quartier et ils se garderaient bien d'aller voir plus loin. Cette espère de marine sur la terre ferme, ça apprend la survie. La promesse des vents au-delà du quartier est pas engageante, entre stages bidons, petits boulots dégueulasses qui leur sont comme réservés exprès pour eux, et la prison à l'occasion. Souvent, ils vont se planquer dans des suivis psychologiques qui n'ont jamais de fin. C'est pas de tout repos, je suppose, de se laisser porter l'imagination par les embruns des psychotiques et la marée des canettes de bière ambrée. Je suis allé le voir, les autres ils sifflaient tant qu'ils pouvaient, mais il m'a même pas vue on aurait dit. Il m'a dit : « bonjour madame » et il a tendu la main : « pour manger s'il vous plaît ». Vas-y, je l'ai laissé jouer au clodo. J'ai fait une croix.

Quelques fois, j'attendais qu'ils s'endorment et je pleurais le plus bas possible, en me mordant l'intérieur des joues et en serrant les poings si forts que j'ai encore la marque sur mes paumes. Des fois, les produits s'y incrustent et ça me brûle. Et Hananne a fini par arriver, elle en me brûlant le dedans. C'est comme ça. Mais quand même, le revoir après tout ça, et pris dans son nouveau délire. Je peux peut-être en parler à Mathilde. Elle a l'air gentille et jamais un mot plus haut que l'autre. Et, j'ai remarqué, elle a plus de mots que moi pour les choses que je sais pas trop comment dire, bien qu'elle soit pas bavarde. Et sentir des choses sans pouvoir les dire aux autres, des fois ça fait mal. Ça fait mal dans le ventre. Le vieux maboul a appuyé sur le bouton pour moi. C'est déjà là. J'ai horreur de la neige. Les premiers temps, c’est joli, presque dépaysant. Presque comme un ailleurs de vacances qui fait crier les enfants de joie et d'excitation. Et puis très vite, on manque quelques fois de se ramasser, quand on se retrouve pas la tête par terre sans prévenir, parce qu'on s'en méfiait pas. Et puis à la fin, ça devient de la boue qui fait des tas près des trottoirs et qui fondent, fondent, fondent, et qui finissent par disparaître. Un peu comme les espoirs qu'on porte au début de l'existence.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire